Ce soir-la, il se sentait comme un moine bouddhiste,
regardant toute chose avec le plus grand détachement. Il était assis à la
terrasse d'un café de quartier à l'aspect tranquille, et pourtant situé en
plein coeur de Paris. Il voyait les gens passer devant lui. Certains
s'arrêtaient un instant, jetant un bref regard autour d'eux, puis repartaient
seul, en couple ou en groupe, on ne sait trop où. Peu importe d'ailleurs:
c'était presque l'été et l'on sentait déjà dans l'air comme une envie de
flânerie insouciante, comme si la finalité d'une mort annoncée n'avait plus
d'importance. La mort, il y pensait souvent, quelque fois celle-ci se
faisait menaçante, la nuit surtout dans son lit, mais la plupart du temps, elle
demeurait une présence silencieuse, comme un ami plus ou moins proche qui
venait combler ses moments de solitude. C'était le cas ce soir-la, à cette
terrasse de café-ci. Pour ainsi dire il ne pensait désormais à rien, sinon au
fait que c'est la nuit que Paris s'éveille vraiment, pour ceux et celles qui le
veulent farouchement d'un désir assoiffé. La nuit, Paris cesse d'être
cette ville dure, moche et poussiéreuse, laissant place à une douceur
mélancolique et floutée. La nuit, songea-t-il alors, tous les passants se
transforment en migrants. Les migrants de Paris volettent au travers d'une
multitude de rues qui sont autant de passerelles vers d'autres hémisphères. Tard la nuit, très tard, restent encore quelques gens pour
qui le ciel est un toit, et la terre un nid. Ces âmes en peine aux ailes plombées, songea-t-il encore, ne doivent pas pour autant faire oublier que la
vie, que les vies, d'autres, de millions et millions d'autres, continueront de
se mouvoir ailleurs, quelque part, à la recherche d'un peu de chaleur pour
oublier. Et lui aura beau leur crier d'arrêter tout ce cirque et de cesser de
se raconter des mensonges, il aura beau le leur dire, depuis sa chaise de terrace
à café, les migrants-passants ne s'arrêteront pas. Ils passeront leur chemin,
rigolant sûrement de ce fou alcoolique, et iront célébrer la promesse d'un nouvel été,
encore un été, oui, mais ne l'ont-ils pas mérité? Ils dépenseront un peu, pas trop,
de peur des lendemains qui déchantent, avec modération mais allègrement tout de
même. Après tout, on ne vit qu'une fois, se répèteront-ils sans trop saisir le
sens profond de ce vieil adage. Oui, c'est ainsi, pensa-t-il en quittant le
café, s'arrêtant un instant pour regarder autour avant de disparaître dans la pénombre d'une ruelle adjacente.
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