Friday, May 8, 2015

Virée Nocturne



Ce soir-la, il se sentait comme un moine bouddhiste, regardant toute chose avec le plus grand détachement. Il était assis à la terrasse d'un café de quartier à l'aspect tranquille, et pourtant situé en plein coeur de Paris. Il voyait les gens passer devant lui. Certains s'arrêtaient un instant, jetant un bref regard autour d'eux, puis repartaient seul, en couple ou en groupe, on ne sait trop où. Peu importe d'ailleurs: c'était presque l'été et l'on sentait déjà dans l'air comme une envie de flânerie insouciante, comme si la finalité d'une mort annoncée n'avait plus d'importance. La mort, il y pensait souvent, quelque fois celle-ci se faisait menaçante, la nuit surtout dans son lit, mais la plupart du temps, elle demeurait une présence silencieuse, comme un ami plus ou moins proche qui venait combler ses moments de solitude. C'était le cas ce soir-la, à cette terrasse de café-ci. Pour ainsi dire il ne pensait désormais à rien, sinon au fait que c'est la nuit que Paris s'éveille vraiment, pour ceux et celles qui le veulent farouchement d'un désir assoiffé. La nuit, Paris cesse d'être cette ville dure, moche et poussiéreuse, laissant place à une douceur mélancolique et floutée. La nuit, songea-t-il alors, tous les passants se transforment en migrants. Les migrants de Paris volettent au travers d'une multitude de rues qui sont autant de passerelles vers d'autres hémisphères. Tard la nuit, très tard, restent encore quelques gens pour qui le ciel est un toit, et la terre un nid. Ces âmes en peine aux ailes plombées, songea-t-il encore, ne doivent pas pour autant faire oublier que la vie, que les vies, d'autres, de millions et millions d'autres, continueront de se mouvoir ailleurs, quelque part, à la recherche d'un peu de chaleur pour oublier. Et lui aura beau leur crier d'arrêter tout ce cirque et de cesser de se raconter des mensonges, il aura beau le leur dire, depuis sa chaise de terrace à café, les migrants-passants ne s'arrêteront pas. Ils passeront leur chemin, rigolant sûrement de ce fou alcoolique, et iront célébrer la promesse d'un nouvel été, encore un été, oui, mais ne l'ont-ils pas mérité? Ils dépenseront un peu, pas trop, de peur des lendemains qui déchantent, avec modération mais allègrement tout de même. Après tout, on ne vit qu'une fois, se répèteront-ils sans trop saisir le sens profond de ce vieil adage. Oui, c'est ainsi, pensa-t-il en quittant le café, s'arrêtant un instant pour regarder autour avant  de disparaître dans la pénombre d'une ruelle adjacente. 

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