L’aventure est dans l’autre. Pas l’Autre avec un grand A,
celui de la différence, qui est souvent celui de l’indifférence, mais dans
l’autre, c’est à dire tous les autres, cet autre qui n’est d’autre que la
condition humaine.
L’autre c’est donc avant tout le soi. Pas le Soi avec un grand S, le Soi égoïste et
narcissique qui cherche dans l’Autre le reflet de son visage qu’il ou elle
croit pouvoir saisir, en vain. Non. Le soi, en soi, pour soi, n’existe
absolument que dans l’autre, tous les autres, c’est à dire qu’il n’existe pas.
Le soi est l’autre, l’autre est l’instant. Le soi n’a d’autre projet que d’être
dans l’instant. Le soi en se projetant dans l’autre y vit et y meurt.
Si nous
nous y tenons, la peur de soi et de l’autre, et toutes ces guerres, ces
méchancetes, ces jalousies et opportunismes égocentriques disparaissent
alors. L’instant, qui n’a ni passé ni futur, c’est ça la vraie révolution.
Nous savons néanmoins que le soi est faillible, comme il est
admit qu’il est perfectible. Cette vérité première de la condition humaine comme perpétuel renouveau demeurera juste, tant que l’instant nous échappe. Comme je voudrais saisir
l’instant, m’envelopper en lui pour me noyer dans l’insouciance.
Si nous nous en écartons et qu’il nous échappe, c’est parce
que l’instant, si l’on parvient par quelque miracle à nous en saisir… parce que
l’instant qui nous échappe et nous fait peur, cet instant qui ne répond au final ni de l'autre, ni de soi, c’est la mort (ré)incarnée. Ne dit-on
pas, après une longue et insignifiante conversation avec l’autre, que l’on s’oublierait presque.
Et s’oublier c’est ne plus exister, et c’est déjà mourir.
L’homme
(et la femme) ont conscience de leur soi interne. Aurait-on jamais conscience de l’autre, de
tous ces autres, cette multitude externe, qu’on s’oublierait alors à jamais, et la mort est si douce…Pourtant le
soi se hâte à la besogne, à devenir quelqu'un, même si au fond il ou elle sait
que tout cela n’a aucun sens. Le sens, il ou elle le sent quelquefois sans
pouvoir s’en rattacher complètement, lorsqu’à la nuit tombée, en compagnie d’un autre soi, tout aussi autre que son soi à lui ou à elle; lorsque s’exhument de leurs bouches des mots qui n’en finissent
plus de masquer le néant; oui, à cet instant précis, il ou elle le sent, que le
sens, c’est avant tout le sens commun.
Par
conséquent, vivre par procuration, ce n’est pas être égoiste. En reconnaitre la
nécessité même, au contraire, c’est faire preuve de bon sens. Le sens commun nous
dicte de ne pas nous croire autre que ce que nous sommes déjà; de simples
poussières d’espace-temps, qui au chemin d’une rencontre se rient de ne pas
exister - si ce n'est à travers l'autre.
Et
Descartes de se soulever alors de sa tombe pour nous déclarer dans la face, ‘je
pense donc je ne suis [pas]’, car si je ne pensais pas, j’existerais dans
l’instant. Seul l’instant est immortel et vérité générale, celui qui nous échappe, nous fait si
peur et que nous désirons avec tant de force. Alors, ne pensons pas, car la
pensée nous écarte de l’instant, du réel. Cessons tous nos petits
projets, oublions nous dans l’autre, quitte à s’oublier, surtout à s’oublier, et quitte à en mourir… pour renaitre Tout-Autre.
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